Jean-Pierre Hupkens : « Liège est une ville de culture » 

« La culture… ce qui fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers ». C’est avec cette célèbre citation d’André Malraux que M. Jean-Pierre Hupkens, Échevin de la Culture, de l’Urbanisme, des Relations interculturelles et en charge de la coordination des dispositifs de proximité, nous a fait part de ce qu’évoque pour lui le mot “culture”. Partisan de la diversité culturelle et de l’accès à la culture pour tous, il nous a reçus dans son bureau pour un entretien riche en informations sur la politique culturelle de la Ville de Liège.  

Y a-t-il, selon vous, de nouvelles formes de culture à Liège ? 

Les cultures dites émergentes ou urbaines sont souvent perçues comme des nouveautés. Or, peut-on vraiment parler de “nouveautés“ pour les désigner ? Je ne le pense pas. Qu’il s’agisse de street art, de hip-hop ou de break dance, ce sont des expressions culturelles qui ne datent pas d’hier. Elles n’avaient jamais été accueillies dans la politique culturelle de la Ville, peut-être plus conventionnelle auparavant, qui tendait vers une conception de la culture au sens des beaux-arts. Il y a eu, en fait, une ouverture qui a permis à ces formes de culture, déjà existantes, de sortir de l’ombre et trouver une légitimité. Par ailleurs, il y a en permanence un consensus de création, à peu près dans tous les genres, que nous nous efforçons de soutenir. Nous avons ainsi créé « l’Espace Jeunes Artistes » qui consiste à mettre à disposition des artistes débutants des espaces d’exposition au sein des musées dans des conditions professionnelles. Nous récompensons également chaque année de jeunes talents dans le cadre du Prix de la Création liégeoise dans le domaine des arts plastiques. Cela dit, il y a sûrement d’autres formes de culture qui sont en train de naître, mais que nous ne connaissons pas encore. Il faut que nous restions attentifs afin de les repérer et leur réserver l’accueil et le soutien qu’elles méritent.  

De quels moyens disposez-vous pour assurer ce soutien ? 

Liège est une ville qui se singularise par la profusion d’initiatives culturelles. Nous sommes tous les jours assaillis de demandes. Par conséquent, les moyens pour répondre à toutes ces manifestations sont toujours insuffisants. Certes, nous sommes la ville de Wallonie qui consacre le plus de moyens à la culture par rapport à notre population. Cependant, nous disposons de grandes institutions culturelles qui consomment beaucoup de budget. Nous tâchons de le rééquilibrer vis-à-vis des plus petites institutions grâce à ce qu’on appelle le budget de transfert. Ce sont des sommes qui sont réservées à des initiatives locales de petite envergure ; le but étant de favoriser l’accès à la culture dans tout le territoire liégeois. De plus, il y a toutes les aides indirectes en infrastructures, notamment, en bâtiments, en impression, en organisation d’activités, etc. Nous essayons également d’être une plaque tournante des mises en réseau en favorisant les collaborations entre des acteurs culturels débutants et les grands opérateurs que la Ville soutient de manière significative. D’autre part, il y a tous les services de la Ville auxquels des budgets considérables sont alloués. Je pense au réseau des bibliothèques qui consomme chaque année 150 mille euros rien qu’en achat de livres. Nous sommes aussi l’une des rares villes, sinon la seule, à entretenir deux grands musées, la Boverie et le Grand Curtius, avec en tout et pour tout 350 mille euros de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais la Boverie, rien qu’en consommation d’énergie, c’est près d’un million d’euros ! Bref, même si Liège est très bien positionnée quant au budget affecté à la culture, la demande dépasse toujours les moyens disponibles.  

Quelle est la place accordée à la multiculturalité dans le cadre culturel liégeois ? 

Nous préférons parler d’interculturalité que de multiculturalité. “Multi“ désigne une juxtaposition qui est moins conforme avec notre vision des choses. Nous souhaitons plutôt mettre l’accent sur le versant “mélange et bigarrure“. L’interculturalité est une caractéristique principale de notre ville. De grands porteurs de culture se sont installés à Liège depuis plusieurs années. Qu’ils soient italiens, espagnols, turcs, maghrébins, africains, ou plus récemment les populations fuyant les conflits dans leur pays, ils ont tous contribué à l’enrichissement de la culture liégeoise. Nous avons, très tôt, été attentifs à cette dimension interculturelle en finançant divers appels à projets. Nous soutenons, entre autres, le projet « Solidarité Liège monde », qui vise à financer des microprojets dans des zones du monde en voie de développement. C’est une manière pour que les personnes venues s’installer ici puissent garder un lien avec la communauté d’origine. Nous avons également créé une plateforme d’interculturalité qui s’appelle « Le Rêve de Martin », en référence à Martin Luther King, où nous proposons un lieu d’échanges pour les associations actives dans le domaine de l’interculturalité. Nous finançons aussi un projet organisé par la Maison de la Laïcité d’Angleur, Chênée et Grivegnée, qui s’appelle « A la croisée des cultures » et qui consiste à proposer un repas sur base d’une culture spécifique. Un autre exemple d’interculturalité est « La Fête de la soupe » que nous organisons dans les différents quartiers de Liège. L’idée et de venir déguster des saveurs d’ici et d’ailleurs afin de favoriser le vivre ensemble. C’est une approche interculturelle très intéressante, car à partir du moment où on s’est assis autour d’une table pour partager un repas, on n’est plus tout à fait des étrangers.  

Sur quels critères vous basez-vous pour établir le budget de la culture ? 

Les critères sont d’abord des critères de nécessité, mais aussi d’accueil de la diversité et de soutien à la création. Nous essayons toujours de garder des volants pour accueillir de la nouveauté. Toutefois, nous nous heurtons au problème de la rigidité des budgets. Il nous est, en effet, impossible de retirer les dotations réservées aux opérateurs qui dépendent majoritairement de notre financement afin de s’en servir pour soutenir de nouvelles expressions culturelles. Chaque année, nous devons demander une augmentation. Nous avons réussi à l’obtenir ces dernières années, mais je ne sais pas si on y arrivera encore. Le tableau n’est, cependant, pas si noir quand on compare notre situation avec celle d’autres pays, comme l’Italie ou les Pays-Bas, où les diminutions du budget de la culture sont alarmantes. Au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le budget a été réduit de 1%. Nous aurions préféré une augmentation, mais nous sommes quand même loin des 25% de diminution aux Pays-Bas ! Sur le territoire de la Ville de Liège, le budget a même augmenté et il augmentera encore avec l’ouverture de la Boverie.  

 

Quel est votre projet culturel coup de cœur ? 

Le choix est difficile tellement il y a de projets qui me tiennent à cœur. Je vais finalement choisir le projet « El Sistema Liège – ReMuA », un programme d’éducation musicale qui nous vient du Venezuela. Un groupe de 200 enfants, appartenant à une sélection de dix écoles primaires, suivent pendant une année des cours d’initiation à la musique, en chant et en instruments. Ils sont encadrés par les musiciens intervenants de l’ASBL ReMuA et par des musiciens volontaires de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège. À la fin de l’année scolaire, ils donnent ensemble un concert gratuit à la salle philharmonique de Liège qui est remplie majoritairement par des personnes qui ne seraient jamais venues assister à ce genre de spectacle. On vient voir la petite, le petit, la filleule, le neveu… C’est, à la fois, une démarche interculturelle et d’accès à la culture pour tous. Mais c’est surtout un spectacle extrêmement émouvant ! 

Houda Joubail 

Loading

Vous pouvez également aimer :